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le dragon rouge.

aussi tristement nul et débile qu’auparavant. Ainsi, dès qu’il fut dans la voiture, il mit la tête à la portière et il dit au cochez : — Allez avec plus de précaution qu’en venant ; l’air est devenu plus vif ; la porcelaine et le verre sont sujets à se briser par ce temps-ci. Ne me cahotez pas.

Les petits laitiers cachés dans le buisson ne sortirent de leur sommeil que beaucoup plus tard. Quand ils s’éveillèrent, ils furent saisis d’effroi en voyant couché tout près d’eux un homme qui nageait dans le sang.

Ils allèrent vite dire au couvent de Saint-Maur ce qu’ils avaient vu.

Il était nuit quand les bons moines de cette maison vinrent prendre le corps du commandeur, qu’ils transportèrent sans bruit.


xxvi

S’il est une position effrayante, épouvantable, mortelle, surtout pour une femme, c’est d’attendre les résultats d’un duel, et d’un duel dont elle est la cause. Elle doit demander à Dieu de la faire mourir pendant les heures de cette attente.

Les heures ne se divisent plus pour elle en minutes, mais en siècles ; et du repos nulle part : son sang brûle ; elle n’a qu’une pensée, et cette pensée lui serre le front ; qu’un tableau scellé sous ses yeux : une figure blanche, deux yeux fermés, une poitrine tachée de sang. Cette figure est celle d’un frère, d’un fils, d’un ami.

C’est une horrible, horrible attente.

Il se fait une décomposition organique : le jour qu’on voit