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le dragon rouge.

On entendit alors le petit cliquetis sinistre des deux détentes ; mais on n’entendit, chose étrange, qu’une seule détonation, et si faible qu’on eût dit un tiers de charge poussant une balle de liège. Cela ressembla au bruit mou d’une pierre tombant dans la vase d’un marais.

Le commandeur bondit quatre pas en arrière ; puis son corps se ramassa en l’air comme une boule, son menton heurtant ses genoux ; puis il s’affaissa, il s’étendit ; il ne remua plus.

La balle avait troué la poitrine.

— Il est mort ! s’écrièrent les témoins.

Le pistolet du commandeur était encore chargé : le coup n’était par parti.

— Monsieur votre frère est mort, allèrent dire au marquis de Courtenay les témoins du commandeur et les siens. Ne restez pas là, faites-vous ramener au plus vite par vos gens.

— Mon frère est mort ! s’écria le marquis, et une subite douleur lui arracha des cris du fond de l’âme. Mon frère est mort ! Commandeur ! commandeur ! criait le pauvre fou en secouant son frère, le relevant dans ses bras, armés en cet instant d’une force extraordinaire, en l’asseyant sur lui, car le marquis était couché à terre. Mais il est mort ! il est mort pour défendre mon honneur ! Il essuyait la mousse sanglante qui était montée aux lèvres du braye commandeur, imposant et beau dans la mort comme il l’était dans la vie. Oui, messieurs, il est mort pour moi. Que vous avait-il fait ? Que vous avons-nous fait, monsieur, après tout, pour que vous veniez nous tuer ainsi ? dit-il à Marescreux, à travers une tourmente de soupirs et de larmes, froissant un mouchoir ensanglanté dans ses mains. Oui, que vous avons-nous fait ? Qui êtes-vous ? d’où sortez-vous ? Je veux savoir qui vous êtes et pourquoi vous nous avez poursuivis, recherchés, insultés. Pourquoi avez-vous tué mon frère ? dit le marquis en prenant le pistolet du commandeur dans une main et tenant dans l’autre le collet de la tunique de Raoul.

Ce reproche si vrai, cette question si sensée qu’inspirait le