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le dragon rouge.

mande qui abrégera un entretien embarrassant pour vous, monsieur, pour moi, pour ceux dont nous sommes entourés ; votre âge me la permet, et le moment où nous sommes la rend moins blessante pour l’honneur d’une personne qui, d’ailleurs, ne saura jamais qu’elle a été faite. Entre elle et vous, monsieur, s’est-il établi des rapports d’intérêt ou des liens d’affection ?… Avant de sortir de la vie, l’âme a des curiosités qu’elle a soif de satisfaire.

Raoul réfléchit un instant, puis il défit lentement deux boutons de sa tunique rouge ; il glissa sa main le long de sa poitrine et sortit de sa poche de côté un portrait en miniature.

Il le remit au commandeur.

Ce portrait était celui de Casimire, celui qu’il avait peint lui-même autrefois à Varsovie, et au bas duquel était écrit : Offert par Casimire de Canilly à monsieur de Marescreux.

Le commandeur rendit le portrait à Raoul de Marescreux.

— C’est bien votre nom, celui qui est écrit au-dessous de ce portrait ?

— C’est bien mon nom, répondit l’adversaire du commandeur.

En s’éloignant pour vider le combat, le commandeur leva tristement les yeux au ciel, et il murmura :

— Oh ! mon Dieu ! je n’avais qu’une consolation en mourant, elle m’est enlevée, Elle ne m’aimait pas. Ce jeune homme a été aimé.

Raoul et le commandeur s’éloignèrent de quarante pas environ, et ils vinrent l’un sur l’autre avec une belle fermeté.

Les pauvres petits laitiers dormaient toujours dans le buisson et la chèvre broutait au bout de la corde qui la retenait à la main de l’un d’eux.

On sentait que les deux adversaires s’estimaient à leur valeur ; ils ne formaient qu’une ligne qui se raccourcissait à vue d’œil. À dix pas ils ne s’étaient pas arrêtés, à cinq pas ils ne s’arrêtèrent pas encore, à trois pas non plus. Leurs pistolets s’appuyèrent enfin sur leur cœur.