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le dragon rouge.

La nourrice de Casimire, qu’on nommait Marine, était du voyage en Pologne.

Casimire de Canilly entrait alors dans sa quinzième année, et elle était déjà belle comme les filles de bonne race le sont à dix-huit ans. Si elle eût connu sa mère, elle eût sans doute beaucoup souffert de quitter la France pour aller si loin, car la Pologne était considérablement plus loin, il y a cent ans, qu’elle ne l’est aujourd’hui, à cause des obstacles plus nombreux que les routes du Nord opposaient autrefois aux voyageurs. Mais Casimire n’avait pas connu sa mère. C’est une forte raison chez les femmes de moins regretter leur patrie, lorsqu’elles n’y laissent pas leur mère. La comtesse de Canilly s’était pour ainsi dire enfuie du monde sous son voile de mariée ; elle était morte à la suite de la fièvre de lait, presque immédiatement après la naissance de sa fille. Cet événement plaça Casimire, dès le berceau, sous la tutelle absolue de son père, qui ne confia à personne le soin de son éducation ; il voulut commencer, poursuivre et achever lui-même cette œuvre difficile. L’esprit de système, autant que l’amour paternel, lui conseilla cette détermination. À beaucoup d’égards la prétention se présentait tout à l’avantage de la jeune Casimire. D’abord il l’aimait de l’immense amour dont il n’avait pu se désaltérer avec sa femme, et toute éducation qui part de l’affection et s’en inspire à chaque pas peut s’égarer en route, mais original et sérieux à la fois, d’une sève remuante et hardie sous une écorce sombre, aurait mérité, à une autre époque, d’être un sujet d’esquisse pour le pinceau du cardinal de Retz ; ce qu’il lui fallait, c’était l’intrigue partout et toujours ; rien pour lui ne venait à bien sans l’intrigue, même les choses les plus naturelles. Il eût intrigué pour que le soleil se levât.

Le cardinal de Richelieu avait fait école, en Europe, d’hommes politiques. Beaucoup d’opulents seigneurs, heureux et considérés, libres de vivre en souverains au fond de leurs terres