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le dragon rouge.

Il avait les mouvements vifs, le pied fin, la main jolie et toute frétillante sous la corolle de dentelle qui lui servait de manchette. Ainsi devait être à quinze ans son oncle le commandeur.

— Vous voulez donc être ambassadeur, monsieur mon fils ! reprit la marquise, dont l’oreille était maintenant attentive au moindre bruit pour savoir si la voiture qui devait amener son mari et son beau-frère n’entrait pas dans la cour. Mais savez-vous que n’est pas ambassadeur qui veut ? Il faut d’abord être ou un grand général ou un grand politique.

— Je serai l’un ou l’autre ; mais à vous parler franchement, ma mère, je crois que je serai un grand politique.

— Vraiment !

— Oui, ma mère. J’aurais du goût, il me semble, pour gouverner les hommes, diriger l’État, faire la paix ou la guerre, donner des emplois, être le conseiller d’un roi, enfin.

— Que tu as un beau front, mon Tristan ; viens, que je t’embrasse, cher enfant, pour ce que tu as dit. Tu me plais, tu me ravis ; tu as de l’ambition. Oui, il faut en avoir. C’est l’amour des grandes choses, des choses justes, des choses vraies, de celles qui font laisser un nom. Il y en a de beaux, de graves, dans notre famille, mais elle en veut un plus grand encore. Il nous manque un ministre. Si tu l’étais un jour. Tu m’écouterais bien, n’est-ce pas ?…

— Ma mère !…

— Vois-tu, nous autres femmes, nous connaissons le cœur mieux que vous. Nous voyons à travers tous les visages, même les mieux masqués ; nous entrons dans le joint des âmes en nous jouant, et parce qu’on nous traite sans importance, comme l’air. Je serais derrière toi, je te conseillerais, je verrais pour toi, j’irais où tu n’irais pas. Nous servirions le pays…

— Nous servirions le roi, ma mère. Et si des méchants, des conspirateurs, par exemple, des ennemis du pays, comme on m’a dit que l’étaient, il y a quelques années, monsieur de Cellamare, monsieur le duc du Maine et tant d’autres, voulaient