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le dragon rouge.

Le marquis avait parlé d’une voix si peu mesurée que chacun prit part à cette bévue, et s’épanouit de rire en voyant le marquis ne pas apercevoir à ses côtés ce que chacun voyait fort bien depuis deux heures de tous les coins de la salle.

Cette hilarité du public fit comprendre au commandeur, supérieurement maître de lui-même, comme tous les hommes d’un vrai courage, la nécessité de retarder de quelques minutes la leçon qu’il avait arrêté de donner au dragon, aussi calme au milieu de l’orage grondant à ses côtés, sur sa tête, à ses pieds, autour de lui, qu’il l’avait été jusque-là.

Pendant ces minutes de répit, la toile fut baissée, et la foule s’écoula une seconde fois ; ce fut moins pour s’entretenir de la pièce que du singulier événement dont elle venait d’être témoin qu’elle quitta la salle.

— Ma voiture ! mes gens ! s’écria la marquise, en ouvrant la porte de sa loge.

— À vos ordres, madame la marquise, répondit un valet de pied qui attendait dans le couloir.

— Partez sans nous, dit le commandeur à la marquise ; mon frère et moi nous rentrerons plus tard à l’hôtel.

— Adieu donc, messieurs, dit la marquise en prenant la main de son mari et celle du commandeur. Toute l’émotion de dignité et de crainte dont elle suffoquait se fit sentir dans cette pression. Elle disparut.

— À nous, mon frère, dit le commandeur au marquis. Il est passé de ce côté. Venez, suivez-moi.

Raoul, malgré la défense des jeunes gens, était entré sans façon dans le foyer. Un murmure d’indignation l’accueillit.

Le commandeur et son frère ne perdirent pas le temps à s’indigner, ils s’ouvrirent un passage à travers la cohue menaçante et se placèrent en face de Raoul.

L’un, c’était le commandeur, leva son gant sur le visage du jeune dragon ; l’autre, par imitation, leva son mouchoir. Raoul arrêta leurs deux bras en même temps.