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le dragon rouge.

au commandeur, son frère, il perdait son temps, il usait inutilement ses yeux à regarder le dragon tantôt avec l’aigreur du mépris et tantôt avec la dédaigneuse compassion de la supériorité, et cependant toujours avec la dignité du gentilhomme qui ne veut être ni colère ni soumis. Raoul ne détournait pas le regard du front de la marquise de Courtenay, où, heureusement, la pâleur de la souffrance éprouvée ne pouvait se montrer, tant son beau front était ordinairement pâle derrière le rideau entr’ouvert de ses cheveux noirs.

Questionné à plusieurs reprises par la marquise sa belle-sœur, le commandeur pencha un instant la tête, sans cesser de regarder Raoul, et il écouta ce qu’elle avait à lui dire. Il répondit par un sourire. Qu’avait-elle dit ? Rien. Qu’avait-il compris ? Rien. Mais tous deux s’étaient devinés. Leur préoccupation était la même. Que leur voulait ce jeune homme ?

Le marquis de Courtenay ne s’apercevait de rien. Il s’amusait comme un rossignol à cette musique délicieuse, comme un rossignol, dont il avait la maigreur, sans en avoir la voix. Il profita du moment où sa femme avait adressé la parole au commandeur pour dire : — Il fait bien chaud ici. Sur l’honneur ! dites-moi si je ne cours aucun danger pour ma vie. Je crois que je me fêle. Est-ce que je ne me fêle pas ?

Ces paroles du marquis n’étaient pas une énigme pour ceux qui les entendaient ; elles dénotaient sa folie, qui, chaque semaine, comme on le sait, se produisait sous une nouvelle forme dans sa tête. Pendant la semaine où l’on était, il se croyait devenu porcelaine. Passé à l’état de tasse ou de cafetière, il demandait si la trop grande chaleur de la salle ne l’avait pas fait fendre. On se hâta de le rassurer, et il reprit son admiration.

Le premier acte finit, et les spectateurs se répandirent dans les couloirs. Les jeunes officiers s’étaient déjà réunis au foyer, dont ils s’étaient emparés.

— Ah ! çà, s’écrièrent les plus impatients, vous avez vu