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le dragon rouge.

On souffrait d’autant plus de son inconvenance qu’elle avait choisi pour point de mire une personne en pleine faveur dans la société, et par l’illustration de son origine, par les relations dont elle rehaussait encore sa naissance, et par une grande beauté. C’était la marquise Casimire de Courtenay que le singulier jeune homme affrontait ainsi de son attitude insultante. Qu’avait-il contre cette dame, dont la vie durement éprouvée pouvait servir de texte à toute une histoire d’événements tristes, douloureux, déchirants, mais où l’on n’aurait pas rencontré une page tachée par le doigt du scandale ? On la respectait, quoique illustre ; on ne la haïssait pas trop, quoique belle ; on l’épargnait enfin comme le passé et le malheur, quoiqu’elle n’eût pas trente ans encore.

Comme toute femme prudente l’eût fait à sa place, elle tourna la tête du côté opposé à celui où se trouvait l’homme qui fouillait si cruellement dans les traits de son visage, et elle cherchait à concentrer et à fixer son attention sur la pièce. Elle ne put si bien se renfermer dans l’étroit rayon de cette unique direction donnée à son regard qu’elle n’aperçût dans toutes les loges d’avant-scène le mouvement continuel de curiosité dont elle était la cause. Malgré elle la marquise détachait sa vue de la scène et la jetait à droite et à gauche, le plus loin d’elle possible, tout en gardant son attitude de calme spectatrice. On crut dans la salle qu’elle n’avait pas encore remarqué l’incroyable manège de l’étranger.

Cependant, suffoquée par cette contrainte, la marquise de Courtenay retira un peu sa tête en arrière dans la loge, et la leva pour adresser quelques paroles au commandeur son beau-frère. Mais celui-ci ne les entendit pas ; il était occupé et exclusivement occupé à répondre, regard par regard, à cette agression muette du jeune homme, qui, de son côté, semblait ne pas voir qu’il y avait deux hommes dans la loge. Il est vrai que l’un d’eux était le mari de la marquise, et, en vérité, on ne sait trop si l’on pouvait le compter pour un homme. Quant