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le dragon rouge.

deux mois, à dater d’aujourd’hui, j’attendrai ici, à cette place, le premier de mes quarante-huit conteurs ; le second n’arrivera que dans deux mois et demi ; le troisième ne reparaîtra dans ce salon que dans trois mois ; enfin le dernier de vous ne reviendra que dans deux ans.

L’itinéraire progressif est dressé ; on y voit la destination de chacun de vous et le temps assigné à son voyage. Prenez-en connaissance, continua le marquis en déroulant un grand tableau, afin de me dire si rien n’est à changer dans ce travail tout entier de ma main, et si j’ai bien saisi vos prédilections de climats et de mœurs.

Le marquis Besson de Bès se tut.

Aucun refus n’eut lieu, aucune observation ne se produisit ; mais en revanche il faillit disparaître sous les caresses.

Le lendemain Paris comptait quarante-huit oisifs de moins dans ses murs, et un homme désastreusement riche, près de mourir d’ennui, s’était créé une espérance qui l’aiderait à supporter les langueurs de son mal.

Cet homme d’esprit avait tout simplement fait ce que font dans un autre but les épiciers en gros de la rue de la Verrerie. Ceux-ci envoient par toute la terre des commis voyageurs pour qu’en revenant ils leur rapportent de la cire, du café, du miel, du poivre, de la cochenille ; le marquis Besson de Bès avait chargé des commis voyageurs d’un autre ordre de lui rapporter des tableaux de mœurs, des épisodes intéressants de la vie des peuples, et il avait, outre le mérite de cette innovation, celui de s’honorer d’une noble action, en consacrant les revenus de ses incalculables millions à placer à leur rang naturel des esprits rares et observateurs.

L’abbé Dumartel fut celui des quarante-huit voyageurs destiné à revenir le premier à Paris, avec son tribut de conteur.

Telle est l’origine des quarante-huit coureurs du marquis Besson de Bès.

L’abbé Dumartel fut exact comme s’il se fût agi d’émarger