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le dragon rouge.

le premier, il n’en sera pas ainsi, » et il tire son épée ; le second l’avait déjà tirée. Les deux lames se croisent et les voilà tous les deux s’attaquant, se défendant avec l’impétuosité de deux adversaires qui se poursuivent depuis longtemps de leur haine : ils se précipitent l’un sur l’autre, et tous les deux sont blessés, l’un à mort, et il tombe pour ne plus se relever, l’autre à mort aussi, mais pour respirer encore quelques heures pendant lesquelles il raconta ce que nous venons de raconter. « Que voulez-vous ? dit-il en expirant, il faisait un si beau clair de lune ! »

Le théâtre de la Comédie-Italienne qui était alors dans la rue Mauconseil, servait de point de réunion à la tourbe musquée et guerroyante de ces jeunes gens, héritiers directs des fines lames du Pré-aux-Clercs. Ils s’y montraient à leur débotté, et ils y faisaient leurs premières armes sous les yeux des maîtres du camp, duellistes émérites dont les joues portaient l’empreinte du choc de la balle ou du sillon de l’épée. Le nouveau venu était examiné des pieds à la tête et apprécié selon sa mine ; cette inspection, toujours impertinente, ne se terminait pas sans un résultat grave. Ou l’intrus était destiné à augmenter quelques jours après la liste des bretteurs, ou il ne reparaissait plus ; sa disparition était toujours complète. Si la mort, à la suite d’un duel, ne l’enlevait pas, la confusion d’avoir évité une rencontre l’obligeait à quitter Paris au plus vite.

Or, un soir d’hiver que le foyer de la Comédie-Italienne semblait trop étroit pour contenir ses turbulents habitués, venus en plus grand nombre soit à cause de l’excessive sévérité du temps, soit plutôt à cause de l’attrait d’une première représentation, un jeune homme parut au milieu de leurs groupes, où sa présence causa un étonnement général. Peut-être fût-il passé inaperçu ce soir-là à travers l’affluence plus grande que de coutume, sans la bizarrerie de son costume. Sa tête était couverte d’un béret de velours blanc dont les bords larges comme un bandeau pressaient son front, et si exactement, que