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le dragon rouge.

Madame de Courtenay, on le voit, jouissait d’un grand crédit à la cour de Louis XV. Sa protection était un titre, sa recommandation auprès des ministres valait la certitude d’un emploi.

Heureux celui qui, accouru du fond de sa province, se présentait avec un titre aux bontés de la marquise. Il fallait qu’il fût bien peu possible pour que sa demande fût repoussée.

N’était-ce pas un miracle jusqu’ici qu’une femme si belle, si jeune encore, se fût fait tant d’amis reconnaissants sans que parmi ces amis on lui en prêtât au moins un décoré d’un titre non pas plus beau, mais plus doux ? Ce miracle, puisque c’en est un, s’était produit. Il est vrai que la marquise de Courtenay, faisant de la politique au berceau et pour ainsi dire sous le pommier du paradis terrestre, avait souvent eu le bonheur de protéger le mérite. Tout le secret de sa justice, disait la jalousie des femmes, était dans l’indifférence de son cœur. La marquise de Courtenay indifférente ! Sans doute elle riait des manifestes passionnés qu’elle rencontrait partout où elle posait la main, sur la laque de sa toilette, sous les coussins de ses sophas, dans le pli de ses livres ; mais elle en riait parce qu’elle avait un amour sérieux, enraciné dans le cœur, un de ces amours si forts, si grands, si durables, que celle qui l’éprouve paraît indifférente au monde entier, et qu’elle ne sait elle-même comment elle pourrait aimer, tant elle aime. Le commandeur ne l’avait pas quittée depuis neuf ans, depuis son retour à Paris. Il avait assisté à toutes les phases brillantes de sa destinée, sans éprouver d’autre sentiment que l’amère contrariété de la voir sortir de plus en plus de l’obscurité où elle aurait pu être si heureuse après et même avant son exil, pour affronter les tempêtes de la vie publique.

Il craignait des retours affreux, des déchéances après des grandeurs. Sous des formes plus douces, mieux voilées, il reconnaissait l’habileté italienne, la subtilité parfois machiavélique du comte de Canilly, et dans le gant brodé de la fille, il