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le dragon rouge.

Réunissant en elle tout ce que celles-là avaient de science et d’observation, était-elle destinée, elle déjà si considérée à cause de son nom, à être l’anneau qui joindrait ces deux souverainetés de l’époque ? Des signes certains semblaient raffermir ces flatteuses prévisions. Les qualités d’énergie et de pénétration qu’elle avait acquises au fond de l’exil, par son père et par elle-même, et dont elle ne croyait jamais faire usage que pour l’éducation de ses enfants, furent connues, publiées partout, vantées, exagérées même ; car le bonheur, ce dispensateur stupide, ce grand seigneur idiot qui jette l’or par les croisées, ne fait rien à demi.

Il prit la marquise sous sa protection et lui accorda plus qu’elle ne demandait en crédit, en puissance, en renommée. Le plus fervent, le plus remarquable parmi ceux de la cour qui accoururent adorer la fortune sous ses traits, ce fut le duc de Bourbon, devenu premier ministre à la mort du Régent. Trop rude pour s’attirer par lui-même tous les dévouements, tous les mérites dont il avait besoin afin d’augmenter et de maintenir son autorité à côté de celle de l’abbé Fleury, pareillement ministre comme lui, et de plus son rival, le duc de Bourbon résolut, très-politiquement, de prendre les salons de la marquise de Courtenay pour le théâtre de ses combinaisons politiques, et de connaître par là, sans peine et sans affectation, les hommes sur lesquels il pouvait compter, distinguer ses amis et ses ennemis, voir tout enfin, derrière le rideau.

Ce rôle donna à la marquise un puissant relief. Les femmes n’avaient pas encore habitué le monde à les voir prendre une part quelconque aux spéculations politiques. Elle se fit en peu de temps une renommée qui la mit tout à fait hors du cercle tracé avec des feuilles de rose autour des autres femmes. Elle offrit un véritable phénomène. C’était déjà une exception fort notable que les hommes, même de naissance, rompissent avec des traditions d’oisivité, sacrifiassent leur opulente et chère paresse à l’étude des affaires publiques.