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le dragon rouge.

deur de Courtenay. Elle se disait seulement, comme tous ceux qui mettent sur le compte de la destinée leurs propres fautes : Porterais-je malheur à tout ce qui m’aime ? Elle murmurait cette plainte en se promenant dans les solitaires allées de son parc et en tenant Tristan d’une main, Léonore de l’autre, deux petites créatures qui avaient de la peine à la suivre lorsque la chaleur de ses monologues l’emportait hors d’elle-même. Elle n’avait pas encore remarqué que ses deux plus sûres consolations marchaient à ses côtés sous les traits naïfs et bons de ces deux enfants. Mais Casimire avait à peine dix-neuf ans, et, à cet âge, le sentiment maternel est plutôt une distraction qu’un sentiment. Puis elle avait rarement vu jusqu’ici Tristan et Léonore, qui étaient toujours avec Marine. L’usage voulait que les enfants des grandes maisons ne parussent devant leurs parents que lorsqu’ils étaient capables, non de leur rendre leurs amitiés, mais leurs politesses. Toutes leurs charmantes privautés étaient bannies des salons par l’étiquette. Après avoir été la poupée des nourrices, ils devenaient la victime des gouvernantes, et des gouvernantes ils passaient aux mains des gouverneurs.

Un jour pourtant que Casimire, désolée de n’avoir pas encore reçu des nouvelles de Marine et qu’elle pensait, elle y pensait sans cesse, au triste sort du commandeur enfermé à cause d’elle à la Bastille, le commandeur, le seul homme sur l’appui duquel elle avait compté, le seul homme qui eût son amour ; un jour qu’elle se laissait aller au plus sombre découragement, Tristan et Léonore, qui jouaient près de là sur le gazon, se prenant par la main, ces deux anges vinrent devant elle, et, se mettant à genoux à ses pieds, lui dirent :

— Petite maman, nous vous demandons bien pardon de vous avoir fait de la peine. Pardonnez-nous.

— Vous m’avez fait de la peine, vous ! s’écria-t-elle en les prenant tous les deux dans ses bras, en les élevant jusqu’à ses lèvres.

— Puisque vous pleurez toujours quand nous sommes avec