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le dragon rouge.

leur esprit à se déshonorer, la fortune de leurs aïeux à acheter des comédiens, mais encore à ces hommes qui n’étaient plus rien, ni braves, ni religieux, ni galants, incapables de tenir ni une épée ni une plume ; elle se roidissait, songeait à son père, s’inspirait de son souvenir, méprisait de ses lèvres dédaigneuses ceux qui n’avaient pas osé le suivre à l’échafaud ou l’en arracher, et, les mains pleines de colère, elle les fermait avec indignation, ces mains qu’elle rouvrirait quand les liens de l’exil seraient tombés. On verrait alors ce qui s’en échapperait ! Mais Paris ! Paris ! la France ! la France ! s’écriait-elle en s’élançant sur un cheval qui l’emportait sous les désertes allées de son parc, le long de l’Arno, ce fleuve taciturne comme les vieux Gibelins qui venaient autrefois y confier le secret de leurs grandes âmes désolées.

Mais où est le commandeur, à présent ? murmurait ce grand orage quand il avait fini de gronder.

On remit un jour à Casimire une lettre qui venait de Paris. Elle l’ouvre et lit :

« Prisonnier du Roi, à la Bastille, pour la vie.

« Commandeur de Courtenay. »

La tête de Casimire tomba sur sa poitrine. Le soir, elle n’avait pas changé d’attitude. Pas de cri, pas de pleurs ; une douleur sèche, celle qui tue. Elle était cause que le commandeur passerait toute sa vie dans les cachots de la Bastille, cette terrible prison d’État dont les princes du sang eux-mêmes ne parlaient jamais sans frémir.

Étonnée de ne pas la voir descendre au salon ce jour-là, Marine alla dans sa chambre, et, la secouant par le bras : Que fais-tu ? lui dit-elle. — Tiens, lui dit Casimire, lis ! — Je ne sais pas lire, lui répondit Marine. Alors Casimire, à mots brisés, lui raconta le voyage secret du commandeur et son arrestation.