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le dragon rouge.

ville morte et fait replier avec tendresse l’âme sur elle-même, comme il arrive quand on se promène sous les cyprès d’un cimetière. Les morts font aimer. Dès que le travail de Casimire fut fini, ils remontèrent aussitôt en voiture ; le front de leurs chevaux se tourna du côté de Florence, ville que l’exil leur avait rendue aussi chère qu’une seconde patrie.

Le premier jour et la première nuit se passèrent assez heureusement.

Mais, vers la fin de la seconde journée, tandis qu’ils gravissaient le revers d’une colline en broyant une route fort mal entretenue, l’un des deux chevaux s’abattit, et, dans sa chute, causée par une ornière échappée à la perspicacité de leur cocher romain, qui ne conduisait pas avec la supériorité de Néron, il se cassa la jambe. Un cheval qui se casse la jambe rend inutile non-seulement le cheval tout entier, mais encore le cheval attaché avec lui au même timon, et, par conséquent, annule l’équipage, dont toute l’existence réside ainsi dans une jambe de cheval.

Casimire et le commandeur, forcés de descendre, préférèrent se rendre à pied tous les deux à un village dont ils voyaient briller les lumières à quelques cinq cents pas, à l’entrée d’un bois, que d’y envoyer leur cocher demander un secours qui n’arriverait que le lendemain.

Le cocher garda donc la voiture, et le commandeur et Casimire gagnèrent le bois à la marge duquel ils supposaient qu’était le village aperçu de loin.

La nuit ne descend pas dans les climats chauds, elle tombe ; elle n’a pas plus tôt atteint le zénith, où viennent expirer les dernières lames d’or du soleil couchant, qu’elle plane déjà sur la cime des arbres, jetant de tous côtés son crêpe sombre, vaste tente déployée. Casimire et son compagnon faillirent s’égarer avant d’arriver à l’endroit qu’ils ne découvraient plus maintenant qu’à travers le fouillis d’arbres brunis par la nuit.

Le village, qui, de loin, leur avait paru à l’entrée du bois,