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le dragon rouge.

comédie lorsqu’elle souriait modestement à ceux qui, dans le monde, la félicitaient d’être la bonne et docile compagne de son frère. Avait-il le droit de s’en prendre à d’autres qu’à lui-même de cette hypocrisie conjugale ? Il l’avait faite, il l’avait arrachée à l’excès de tendresse que Casimire lui vouait. En sorte qu’il ne savait, le malheureux, s’il devait admirer Casimire ou la condamner. Cette vie de contrainte était un supplice à leur âge : Casimire atteignait à peine sa dix-septième année, le commandeur n’avait pas encore vingt et un ans. Et ils étaient en Italie ! Ils n’avaient qu’eux pour guides, pour conseil, pour obstacle, car ce n’était pas le marquis de Courtenay qui pouvait, par les ombrages d’une jalousie dont ils auraient béni les soupçons, les tenir l’un envers l’autre dans un état de salutaire défiance. Si l’excès de douleur dans ce corps affaibli avait un jour éveillé la pensée du suicide, l’excès d’une joie inattendue avait, pour ainsi dire, dérangé chaque pierre de son architecture intellectuelle ébranlée. En proie à l’égarement tandis qu’il était aux prises avec le mal, il était tombé après une secousse aussi violente, mais en sens contraire, dans une effrayante aberration d’esprit. Le bonheur l’avait heurté, poussé hors de la voie déjà si étroite d’une raison effacée par l’excès des plaisirs.

Ces symptômes de folie observés chez lui par son frère le commandeur, et qui avaient déterminé celui-ci au plus cruel des renoncements, au lieu de disparaître avec la cause de sa douleur, avaient persisté en changeant de nature. La déviation de son intelligence était notoire si elle n’offrait pas la gravité de la folie. Le marquis changeait de manie selon les saisons, et souvent sans motif appréciable. C’étaient des bizarreries inouïes, rêves d’un cerveau dérangé, mais tranquille ; funeste tranquillité qui ne laissait pas prévoir de guérison. Tel jour, le marquis s’imaginait être oiseau, et il prétendait avoir des ailes d’hirondelle ; il gazouillait, becquetait ; il croyait voler de branche en branche. Il demandait si l’on avait eu soin de