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le dragon rouge.

— C’est cela, reprit le marquis, oui, je tiens à vous savoir heureux. Ainsi donc, vous, mon frère, puisque je n’ai pas pu faire accepter tous mes biens à mademoiselle de Canilly, vous en aurez la moitié. Cela peut bien aller à douze ou quinze millions.

— Ne dirait-on pas, mon frère, interrompit le commandeur, que vous êtes un vieux grand-père dressant son testament en présence de ses fils ? Quittez donc, je vous supplie, ces tristes pensées.

— Non, mon frère, répliqua le marquis, encore une fois embarrassé dans la marche de ses raisonnements. Vous m’avez arrêté ; où en étais-je, je vous prie ?

— À la donation que vous me faisiez.

— Elle est faite, dit le marquis.

— Oui, dans votre tête.

— Et ailleurs, poursuivit le marquis. Venons à vous, dit-il en serrant la main de Casimire ; je vous en donne autant…

— Mais, monsieur le marquis, s’écria Casimire, cessez ces tristes partages dans un endroit tout rempli de pensées de mort.

— Décidément je crains la folie pour mon pauvre frère, pensait le commandeur. Ah ! je suis arrivé trop tard.

— Mais oui, mon frère, mademoiselle de Canilly a raison. De tels propos font mal ici. Croyez-moi, venez avec nous, venez ! nous vivrons tous les trois ensemble comme autrefois….

— Comme autrefois ! répéta le marquis.

Le commandeur ayant essayé d’entraîner son frère hors du cabinet, celui-ci, en résistant, lui dit :

— Mais ne comprenez-vous pas pourquoi je me suis logé dans un tombeau ? Je ne sortirai plus d’ici, dit-il, j’y mourrai ; et quand ? bientôt oui, bientôt ! J’en suis sûr.

Les traits du marquis, en parlant ainsi, changeaient à vue d’œil ; ils devenaient sombres — comme ses idées.

— Ne parlez pas ainsi ; mon frère, songez que vous êtes