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le dragon rouge.

par amour pour lui ? Et puis son frère, le marquis de Courtenay, avait-il éprouvé réellement de l’amour pour Casimire ? Son caprice d’un jour devait-il être tant respecté qu’une femme qui ne l’aimait pas se sacrifiât à lui ? On jetterait un autre joujou à cet enfant frivole, et le joujou qu’on lui enlèverait serait oublié.

— Mon amie ! dit le commandeur, — ce dernier type de l’amour d’un autre âge, cet adorable modèle de la passion grande et dévouée, celle qui faisait aller aux croisades, à la mort, au ciel, grande et belle par là comme la religion, — mon amie, je crois, dit-il en s’inclinant sur Casimire, en lui prenant chastement la main, qu’on ne s’est jamais aimé ainsi.

Admirable naïveté que se répètent les amants de toutes les époques comme les mots de passe de la grande franc-maçonnerie de l’amour.

Le bonheur de Casimire conservait dans sa plénitude toute la sombre et respectueuse tristesse du deuil étalé sur ses habits, écrit sur son visage. Une ligne noire encadrait ce tableau de bonheur, ce paysage de joie qui commençait à poindre dans le fond de ses yeux. Cela était consolant, mais sans gaieté, sans éclat. Dieu, le monde et son père, ces trois choses sacrées et sévères n’auraient pas blâmé cet amour qui venait s’asseoir sur une robe de deuil et y effeuiller doucement des roses. Les amours accoudés et sérieux font bien aux angles d’un tombeau. Et puis elles sont si voisines les deux sources de toutes nos larmes, celle qui coule quand on souffre, et celle qui coule quand on a cessé de souffrir, qu’il n’y a que les gens qui n’en répandent point qui ont le droit de se plaindre de voir se confondre leurs eaux.

— Je verrai mon frère, je le verrai, dit le commandeur en se levant. J’espère le convaincre. Il saura de combien d’années mon amour pour vous avait précédé le sien, le sien né d’une fantaisie qu’une autre fantaisie effacera. Si quelqu’un a le pouvoir de le ramener à voir raisonnablement les choses, c’est