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le dragon rouge.

vous l’avez emporté. Je vous ai mise au-dessus de la gloire, au-dessus de l’honneur même, et, pendant la nuit, j’ai abandonné, comme un transfuge, comme un traître, une armée à laquelle je n’avais encore rendu, pour un loyal accueil, que quelques heures de danger.

La voix du commandeur s’éteignit au souvenir d’une faute dont il ne pouvait s’empêcher de rougir, même en présence de celle qui la lui avait fait commettre.

C’est à ce moment que Casimire, si habile, comme on l’a vu, à établir des calculs pour savoir s’il lui convenait mieux d’être douce que sévère envers le commandeur, et qui avait fini par lui ordonner de quitter brusquement l’armée, calculs infinis d’amour-propre, ruses exagérées, craintes mises en balance avec le désir, vit enfin ce qu’elle n’avait pas même soupçonné, qu’elle avait brisé à jamais l’existence militaire du commandeur, compromis son honneur et fermé son avenir ; cela sur un mot, sur ce mot : Revenez !

Ce voile soudainement déchiré par la main du commandeur lui découvrait un de ces tristes horizons d’erreurs au centre desquels, disciple aveugle de son père, elle avait emprisonné sa raison et affaibli les grâces naturelles de son caractère. Elle était devenue silencieuse comme le commandeur, qui, rompant le premier l’embarras d’une situation aussi fausse, lui dit :

— Je n’aurais pas donné dans mes souvenirs la moindre place à cette action s’il avait pu entrer dans vos vœux que je la fisse. Du moment où elle n’a pu convenir qu’à moi, il me devient permis de me la rappeler pour regretter sincèrement de n’avoir pas mieux compris que ce qu’exige une femme n’est pas toujours ce qu’elle désire.

— Que dites-vous, monsieur le commandeur ?

— Ne me comprendriez-vous pas ? ne m’épargnerez-vous pas la douleur d’une explication plus claire ?

— Vous vous plaignez, c’est ce que je comprends.