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le dragon rouge.

Il ne l’avait pas encore vu lorsque Casimire le pria de passer chez elle ; c’était pourtant le dixième jour de son arrivée à Varsovie. Le commandeur, qui n’attendait que cet ordre, se rendit aussitôt chez mademoiselle de Canilly.

— Ma lettre vous est donc parvenue ? demanda d’abord Casimire d’une voix timide, après avoir fait asseoir le commandeur à côté d’elle.

— Elle a été un ordre pour moi ; je suis venu. Vous ne pouviez douter de mon obéissance.

— Je vous en remercie, monsieur, reprit Casimire, dont le visage portait les marques de la longue affliction où l’avait jetée la mort si lamentable et si tragique de son père. Je ne pensais pas, en vous écrivant cette lettre, que vous viendriez si à propos essayer de me consoler d’une perte cruelle, irréparable. Un motif moins grave m’avait fait vous écrire ; ce mot si impératif…

— Oh ! sans doute, bien moins grave, interrompit le commandeur, appuyant avec une intention pénible sur cette restriction de Casimire. Pourtant ce seul mot m’a suffi pour quitter l’armée et me faire traverser des provinces ennemies.

— Des provinces ennemies ! s’écria Casimire.

— Elles offraient moins de danger pour moi que les provinces de l’empire, où mon signalement m’avait déjà devancé.

— On vous poursuivait donc ?

— Comme déserteur. J’ai déserté pour me rendre à vos ordres.

— Et c’est pour moi…

— Ma carrière est fermée, se hâta de reprendre le jeune commandeur de Courtenay. Inscrit aux rôles de l’armée comme déserteur, je n’y rentrerais pas sans passer par un jugement, et vous savez si la discipline allemande est sévère.

— Est-il bien vrai ? Quel sacrifice, monsieur le commandeur !

— J’ai hésité, je l’avoue ; il y a eu combat en moi, mais