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le dragon rouge.

Le commandeur de Courtenay s’était enfermé chez lui en attendant d’être rappelé par Casimire, indifférent à tout ce qui n’était pas elle et le marquis de Courtenay, dont la conduite inexplicable lui donnait étrangement à penser.

Dès son arrivée à Varsovie, et même avant de se montrer chez mademoiselle de Canilly, le commandeur s’était présenté à l’hôtel du marquis de Courtenay, son frère, où on lui avait dit que son frère ne le recevrait pas. Croyant que cette défense était motivée par quelque raison légitime, et limitée d’ailleurs à la durée de quelques heures, le commandeur n’insista pas ; il se retira. Mais s’étant présenté de nouveau, le soir, à la porte de l’hôtel de son frère, il rencontra le même obstacle, il reçut la même réponse. Vainement il dit qu’il était le frère du marquis, qu’il n’y avait pas de consigne inviolable pour lui ; il fut réduit à annoncer à son frère, dans une lettre, son retour à Varsovie, sans oublier de lui marquer en termes respectueux la surprise où il était de se voir si difficilement admis auprès de lui.

La lettre du commandeur resta sans réponse ; trois autres lettres n’eurent pas un meilleur sort. Le mystère de ce silence l’aurait beaucoup plus inquiété encore si les malheurs personnels de Casimire de Canilly, et la douleur que lui avait causée son frère le marquis en lui annonçant son mariage avec elle, n’eussent absorbé toutes les facultés de son esprit. D’ailleurs, il supposa que son frère ayant connu plus tard, ce qui n’était pas impossible, combien il aimait, lui aussi, Casimire, et honteux alors d’avoir chanté avec tant de fanfares sa joie d’épouser mademoiselle de Canilly, et plus honteux encore d’avoir appelé un frère de l’armée pour le rendre témoin de cette joie, s’était repenti de l’avoir ainsi humilié. Dominé par ce meilleur sentiment, il ne voulait sans doute pas que son frère vînt lui reprocher d’avoir si insolemment affiché son bonheur. Rien n’était plus spécieux que ce prétexte généreusement prêté par le commandeur à la justification de son invisible frère.