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le dragon rouge.

— Mais oui ! je l’ai reçue, dit-elle.

« Qui la leur a livrée ? M. de Marescreux ! Il me soupçonnait, le croiriez-vous ? Il m’espionnait ; il avait corrompu un employé de la poste, et la lettre écrite pour vous lui a été livrée. Dans cette lettre, il a pu apprendre que mon projet était de mettre un frein à son ambition, si jamais il tentait de la tourner contre moi ; il se sera cru abusé, trompé, trahi, et il aura tout dévoilé pour se venger de moi. — Eh bien ! m’a ensuite demandé le juge, qu’en dites-vous, monsieur de Canilly ? — Rien, ai-je répondu. — Cette lettre est vraie. Quelle récompense a-t-on accordée à M. de Marescreux ? ai-je encore demandé. — Lui et son fils ont été décapites sur la place publique de Pau, a répondu le juge.

« Quoi ! on n’a pas vu un motif de grâce dans leur révélation ? — Les imbéciles ! n’ai-je pu m’empêcher de m’écrier ! Il y a des gens si dépravés qu’ils n’ont pas même la bêtise de la clémence.

« Fatigués de m’infliger une inutile torture, ne sachant plus de quel supplice inquiéter mon corps, dont chaque articulation a été disloquée par le fer, dont chaque place a été noircie par le feu, mes juges se disposent à prononcer ma sentence : comme si le châtiment qu’ils me préparent ajoutera une douleur de plus aux douleurs qu’ils m’ont fait souffrir ! Je les attends d’un cœur ferme. Ils sont rassemblés. Probablement leur arrêt sera rendu avant le jour, quoique la nuit touche à sa fin.

« Je mets à profit ce court intervalle pour vous donner les derniers conseils que ma parole éteinte peut dicter ; car mes mains, mademoiselle de Canilly, ne remplissent plus leur office. Je n’ai plus de mains. Le gardien, dont j’ai acheté la discrétion, écrit sous ma dictée les avis que je vous adresse de mon lit de torture ; il recueille mon dernier souffle, ma dernière lueur d’intelligence. Je le savais depuis longtemps : la volonté, c’est la vie. D’autres seraient