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le dragon rouge.

« Reparaître à la cour du régent, si les circonstances l’exigent, feindre d’avoir tout oublié ;

« Laisser passer une génération, deux générations, si cet apparent oubli est nécessaire, léguant le mot d’ordre de race en race, pourvu qu’un descendant des Canilly ait raison d’un des descendants de notre ennemi.

« Une troisième fois, les valets du tourmenteur m’emportent dans leurs bras : la question du feu m’attend. Cachez donc vos larmes, mademoiselle de Canilly, puisque je ne pleure pas, moi ! »

— Ah ! c’est pour moi qu’il éprouve ce supplice, pour m’avoir une fatale couronne à mettre sur la tête ! Je ne l’ai pas assez retenu, assez empêché ; je ne lui ai pas crié assez fort :

— Non, je ne veux pas, restez, mon père, restez !

La lettre, toute souillée de sang et de larmes, torturée comme celui qui l’avait écrite, s’étala de nouveau.

« Allons ! je suis encore en vie, mais je n’ai plus la faculté de me servir de mes mains : on me les a brûlées ; on les a tenues enfermées dans une espèce de four que l’on a chauffé par degré, toujours en présence du médecin chargé de constater les forces de ma vitalité ; on les avait fait passer par deux trous qu’on a rétrécis ensuite ; si malgré moi je voulais retirer mes bras, impossible, ils étaient étranglés par le haut ; partout où mes mains erraient dans ce four, une chaleur bouillonnante fondait mes chairs et en détachait les ongles ; mes os tombaient ensuite. Le juge m’a dit : — Puisque vous vous obstinez à ne rien révéler, nous allons vous mettre en présence de vos propres aveux, de témoignages écrits de votre main. Devinez-vous ce qu’ils m’ont lu alors ? la lettre que je vous écrivais de Paris, celle où je vous annonçais le début favorable de notre affaire, mon départ pour le Béarn, fixé au lendemain, et le succès qui ne pouvait nous faillir. Vous n’avez donc pas reçu cette lettre ? »

Casimire chercha à se souvenir.