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le dragon rouge.

de certains incidents dont je vous dois le récit, afin qu’il soit conservé par vous dans nos annales de famille.

« Souvenez-vous de tout. Nous sommes éternellement en compte avec la royauté, qui payera bien si elle paye tard.

« Notez déjà qu’on m’a mis dans la prison où fut enfermé, il y a un siècle, M. de Montmorency, qui avait conspiré (rapprochement étrange), non pas comme moi avec un roi pour renverser un duc d’Orléans, mais avec un duc d’Orléans pour détrôner un roi ou peu s’en faut. Le duc d’Orléans, son complice, le laissa parfaitement couper en deux par la hache du bourreau. Ceci donne à penser.

« D’ailleurs je ne veux pas de pitié. Est-ce que les hommes politiques en méritent aucune ? Maître de la vie du régent, je n’eusse été envers lui que respectueux ; nous verrons s’il a les mêmes principes que moi, qui suis d’une même condition que lui. Noble pour noble, de gentilhomme à gentilhomme : qu’il en soit ainsi, je ne désire pas davantage.

« De ma lucarne grillée je remarque, loin, bien loin, sur une place dont le bruit attire mon attention, une foule de gens qui tournent leurs yeux de ce côté-ci. Sans doute ils viennent d’apprendre le rang du prisonnier nouvellement amené dans la prison de leur ville. Cette place, si animée en ce moment, est, je crois, un marché. Voyez dans vos histoires de Louis XIII si ce n’est pas sur la place du marché qu’on décapita à Toulouse M. de Montmorency. Je m’étonne de la facilité qu’a l’esprit à trouver des parallèles historiques dans les circonstances analogues. Il se souvient sans presque avoir appris. Cela résulte du sang, comme la dignité naturelle chez les gentilshommes. Nous sommes du sang avec lequel s’écrit l’histoire.

« Mes verrous crient ; on vient me chercher pour paraître devant mes juges. — Soyez ferme, mademoiselle de Canilly ! »

Voilà la couronne qu’il voulait poser sur ma tête ! Pauvre père !… — Il appelle cela des juges !