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le dragon rouge.

« Notre coup a manqué, mademoiselle de Canilly.

— Que vais-je apprendre ? s’écria Casimire.

« À l’heure où je vous écris, je suis dans la prison de Toulouse.

Les bras de Casimire fléchirent, son sang s’arrêta ; elle était immobile. Ce ne fut qu’au bout de trois ou quatre minutes de douloureuse extase que ses mains relevèrent lentement la lettre de son père.

Elle recommença la phrase :

« À l’heure où je vous écris, je suis dans la prison de Toulouse, après avoir été arrêté à Agen, que je traversais pour me rendre dans le Béarn, chez M. de Marescreux. Je ne puis guère douter des motifs de mon arrestation, quoique je n’aie pas encore subi d’interrogatoire. »

Que d’anxiété sur le visage de Casimire !

« Notre conspiration aura été découverte. Comment ? je l’ignore. La justice du régent va se venger. L’osera-t-elle ? je ne le pense pas. Croyez, mademoiselle ma fille, que cette pensée ne se mêle pas en moi à la crainte de me tromper. Je sais les récompenses et les peines dues aux actes politiques tels que celui que j’avais entrepris. Conçu gravement, poursuivi gravement, je devais le voir s’accomplir pour moi ou contre moi avec la même austérité de conviction.

« Ce n’est pas à la condition de réussir qu’on a le droit de demander une place dans l’histoire, mais à la seule condition de rester grand et honoré, quoi qu’il advienne.

« Il est mal advenu, je n’en resterai pas moins grand, mademoiselle de Canilly. Avec la forte quantité d’or que je porte sur moi, il m’a été facile d’obtenir de mon gardien la permission d’écrire cette lettre, qui vous parviendra en Pologne sous le couvert d’une personne amie. Dès ces premières lignes, il ne m’est pas permis de vous dire en quels termes heureux et funestes je la conclurai ; car, si l’affaire où je suis engagé ne promet pas d’être longue, vu la célérité des juges dans ces sortes de procès, elle peut se compliquer