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le dragon rouge.

dominait son cœur ; mais la passion raillée, amusée, était arrivée la première ; elle relevait la tête et confondait Casimire, malgré ses dénégations, malgré son langage adroit, malgré toutes les ressources de son esprit, malgré tout ce qu’il y avait de parfaitement vrai dans sa justification.

Le marquis eut la faiblesse ou le courage de pleurer.

— Puisqu’il en est ainsi, dit-il en étouffant ses larmes dans son mouchoir, je me retire, je m’en vais ; adieu ! mademoiselle. Je quitte cette ville, je quitte ce pays où je ne puis être que ridicule ; adieu ! mademoiselle de Canilly ; j’irai, je vais en France… Mais, s’arrêta-t-il, je serai ridicule aussi en France. On sait à la cour, où ne sait-on pas que j’allais me marier avec vous ? Allons ! je serai partout ridicule ! Mon frère, vous êtes bien heureux de ne pas aimer, vous ! Que vous êtes plus heureux encore si vous êtes mort.

— Mort ! s’écria, d’une voix déchirante, Casimire ; mort ! Elle saisit le marquis par le poignet.

Ce cri fut une diversion à la douleur du marquis de Courtenay.

— Ne vous alarmez pas ainsi, mademoiselle. Je ne dis pas que mon frère le commandeur est mort, quoiqu’il y ait bien longtemps que nous n’avons eu de ses nouvelles. Je disais que, s’il était mort, j’enviais son sort. Mais je vous remercie de ce cri d’intérêt qui vient de vous échapper pour lui. Vous aimez encore notre famille, si vous ne voulez pas y entrer. Merci, mademoiselle de Canilly ; qu’une bonne amitié demeure entre nous. Une amitié… Oh ! de l’amitié ! Il recula vers la porte, pâle, honteux, désespéré. Il descendit l’escalier.

On ne le rappela pas.

Casimire était trop dure, trop cruelle envers le marquis de Courtenay, pour ne pas porter dans son âme, et ceci le disait hautement, un amour aveugle, immense, despotique, pour le commandeur.