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le dragon rouge.

en arrivait, de fiction en fiction, à cette conséquence désespérée, Casimire aurait volontiers donné tout ce qu’elle possédait pour retirer sa lettre, cette lettre qu’elle eût peut-être renvoyée au même instant au jeune commandeur de Courtenay.

Ce déchirement perpétuel avait fini par nuire à sa santé ; elle ne vivait presque plus que de fruits, et passait ses journées assise dans un fauteuil, les mains croisées sur sa poitrine, les yeux rêveurs. Son abattement n’avait pas échappé à l’œil vigilant de Marine, qui, en femme douée d’un grand sens, savait combien il y a peu à faire pour détourner ce mal qui cherche les jeunes filles à l’époque où elles aiment. Marine n’en doutait plus ; Casimire aimait, et quelque effort qu’eût fait depuis quelques jours la fille de M. de Canilly pour ne pas laisser paraître le redoublement de son mal, Marine savait aussi qui elle aimait. Après tout, avait-elle dit en réunissant ses réflexions et en les résumant d’un mot, le mâle vaut la femelle. Il nous convient. J’entrevois un beau nourrisson dans l’avenir.

— Marine, lui dit à quelque temps de là Casimire en plaçant des fleurs dans le col gracieux de deux magnifiques vases de Chine venus de la Tartarie en Pologne avec des pillages de guerre, Marine, crois-tu aux cartes ?

— Ma fille, répondit Marine, j’y croyais avant d’être nourrice, mais, depuis, je n’y crois plus autant.

— Pourquoi cela, folle ?

— N’est-il pas vrai, répondit Marine, qu’une femme ne peut guère mettre au monde qu’un garçon ou qu’une fille ? Eh bien ! j’ai vu presque toujours se tromper du tout au tout, ceux qui disaient : C’est une fille, — car alors il venait un garçon ; — ou bien : C’est un garçon, — car alors il naissait une fille. Pourtant ce n’est que pair ou impair, pois ou fève. Comment veux-tu que les cartes… Mais, s’interrompit Marine, est-ce que tu tiendrais à savoir si celui que tu épouseras est brun ou blond, grand ou petit ; si…

— Mon Dieu, non ! dit Casimire ; j’ai écrit à une de mes