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le dragon rouge.

Tous les spectateurs étaient donc tournés vers la loge du marquis de Courtenay comme pour lui faire partager l’hommage qu’on adressait à son frère. Casimire tremblait sur ses jambes ; elle pâlissait, elle souriait, elle remerciait, elle avait peur de laisser trop voir sa joie, elle ne savait plus qu’en faire ; elle ne savait plus où étaient son corps ni son âme.

Ingénieux, exigeant, comme il l’est toujours dans ses moments d’abandon, le public voulut que ce bonheur, arrivé au marquis de Courtenay dans la personne de son frère, fût pour ainsi dire la cause d’une joie plus grande encore ; il voulut qu’il embrassât Casimire de Canilly, destinée, du reste, dans l’esprit de tout le monde, surtout depuis le fameux bal, à devenir la femme du marquis. Casimire baissa la tête lorsque le marquis lui demanda avec respect si elle consentait à se soumettre à cette exigence de l’assemblée.

Le silence de Casimire, si peu maîtresse d’elle en ce moment, fut pris pour un consentement, et le marquis l’embrassa au bruit des applaudissements de toute la salle, qui passa avec une égale facilité dans l’enivrement de la gloire à l’enthousiasme de la galanterie.

On comprend que le spectacle finit avec cet épisode plus intéressant, plus vrai qu’aucune pièce du répertoire.

Ce fut une belle soirée dans les souvenirs de Varsovie, ce fut la plus agitée des nuits pour le marquis de Courtenay. En embrassant Casimire il avait senti redoubler son amour pour elle, et, du moment où elle devenait si active et si vraie, cette passion le poussait à savoir si enfin il était aimé.

Tandis que Casimire rentrait chez elle, diversement émue de ces honneurs rendus au commandeur de Courtenay, de cette embrassade publique à laquelle elle s’était vue forcée de se soumettre, et, préoccupée surtout de la joie imprudente dont elle n’avait pu retenir le cri, le marquis, en se retirant, pensait, assis dans le fond de sa voiture, à Casimire, à Casimire seule. Le visage de mademoiselle de Canilly était devant ses