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le dragon rouge.

vingt-quatre heures avant que la nouvelle qu’elle renferme soit connue à Varsovie. J’ai voulu vous ménager la joie d’annoncer vous-même, la première, cette grande victoire à nos amis. Monsieur le comte, votre père, y verra toutes les conséquences politiques qu’il est habitué à tirer des événements. Permettez-moi de me croire plus heureux que tout le monde de cette victoire, puisqu’elle m’a donné le droit de vous écrire.

« Je suis, mademoiselle,

« Votre très-humble et très-dévoué serviteur,
« Le commandeur de Courtenay. »

Pas un mot affectueux ! s’écria Casimire en froissant la lettre du commandeur. Je ne suis rien dans ses souvenirs. Les convenances ont dicté cette lettre ; elle est écrite tout simplement à Mlle  de Canilly : Casimire est oubliée. Rien pour moi ! Pourtant j’ai peine à comprendre cette indifférence après ces signes de douleur au moment de son départ : ses indécisions, sa pâleur, ses regrets, ses larmes. Ah ! c’est moi seule que je dois accuser ; je lui avais dit de ne m’écrire que sur les événements de la guerre : il m’a obéi. — Pourquoi m’a-t-il obéi ? J’aurais voulu qu’il ne parlât que de moi ou de lui dans cette lettre.

Casimire reprit la lettre du commandeur, et quand elle eut relu cette phrase : « Elle vous parviendra, grâce aux moyens dont j’ai disposé, vingt-quatre heures avant que la nouvelle qu’elle renferme soit connue à Varsovie, » elle se dit, en examinant la date : — Huit jours seulement pour venir de Belgrade, quand le courrier ordinaire de l’État en met douze ! Quelle effrayante rapidité ! Oh ! l’envoi de cette lettre, portée de distance en distance par des Tatars, lui a coûté, j’en suis sûre, plus de dix mille livres, lui, si peu riche ! Ah ! ceci, rien que ceci, trahit tout le bonheur qu’il a eu à m’écrire. Il a donné tout ce qu’il portait d’argent avec lui pour que j’aie la joie d’annoncer cette nouvelle à Varsovie ! N’est-ce pas assez s’occuper de moi ? Que puis-je vouloir de plus ? Et cette victoire, dit-il encore, le fait