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assez, si prévoyant qu’on soit, les inconvénients qu’il y a à prendre dans les hasards de la vie la place d’un autre ; inconvénients que rien ne balance, pas même le succès. C’est assez de sa propre destinée ; s’imposer celle d’autrui est toujours, à peu d’exceptions près, une faute ou un malheur. Pour ma part, j’étais malheureux au possible de cette perte d’un autre occasionnée par moi. J’en souffrais, j’en tremblais, j’en aurais pleuré. Ajoutez que l’intérêt que cette jeune personne désolée avait allumé en moi s’exaltait, pour ainsi dire à vue d’œil, de tout le tort imaginaire que je me prêtais. Vous comprenez maintenant que la perte des cinq cents francs n’était pas chose gaie à lui porter ; la nouvelle me parut au contraire si terrible à dire, que je me demandai un instant si je ne ferais pas mieux de m’esquiver par quelque issue secrète et de ne plus jamais revoir celle qui m’attendait dans la rue le visage anxieux, le cœur palpitant, la vie aux bords des lèvres.

Pourquoi non ? me répondis-je : pourquoi ne m’échapperais-je pas sans la voir ? Ne m’a-t-elle pas dit, sur un ton exempt de toute hésitation, qu’elle se tuerait si elle perdait les cinq cents francs qu’elle avait consacrés à lui en procurer dix mille par le jeu ? Eh bien ne me voyant pas revenir, elle conclura clairement que son argent a disparu dans le gouffre d’une perte, et son sort s’accomplira.