Page:Gozlan - La Dame verte, 1872.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

feuilles sont partis en compagnie des lilas de Romainville et des roses de Fontenay pour un monde meilleur, le jour où les embellissements de Paris en ont enlevé les beautés. Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés.

D’ailleurs, il faut le dire, nous étions dans une saison où les fleurs dorment encore de leur sommeil d’hiver. Il tombait une pluie fine comme poivre et froide comme givre, moitié eau, moitié neige, pailletant les verres des lanternes d’une quantité de petites perles vertes ou bleues, selon que le gaz les éclairait ; humectant les murs des maisons comme s’il pleuvait par toutes les croisées ; savonnant les pavés sous les pieds des passants menacés d’un glissement perfide, et apportant à l’odorat cette fraîcheur fade qui, par les temps humides, monte des caves. Le silence de minuit mêlait sa taciturnité à ce délabrement universel, à ce frisson dont on se sent enveloppé, traversé jusqu’aux os, jusqu’au cœur, jusqu’à l’âme, les nuits froidement pluvieuses d’hiver à Paris. Ces nuits-là, poëmes dégelés, sont la complainte de la nature. D’ondée en ondée, de glissade en glissade, d’éclaboussures en éclaboussures, dont nous nous étions naturellement gratifiés mon ami Albert Varèse et moi, nous étions arrivés à la rue Pigalle, modèle de ces rues indiquées plus haut, type de la famille, échantillon du drap : rue aimable et de