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Le conducteur cria une dixième ou douzième fois :

— Un ballot de toile écrue pour M. Leveneur !

La jeune fille tendit, roidit ses petits bras, et, après avoir chancelé un instant sous le poids du lourd ballot de toile, elle le déposa à terre sur les marches de la boutique.

— Bon ! il va maintenant se lancer dans les toiles, avaient dit tout bas les curieux amassés près de la diligence.

— Un sac d’argent pour M. Leveneur ! cria une dernière fois le conducteur, en disant à la jeune personne qui recevait le paquet : Pour le coup, c’est trop pesant pour vous, la belle enfant ; trois mille francs… appelez votre père.

— Me voici ! me voici ! répondit M. Leveneur, qui, après avoir écarté assez brutalement du coude celle dont les forces n’avaient pas paru suffisantes au conducteur, avait posé un pied sur l’échelle, l’autre sur le moyeu de la roue, et, de ce double point d’appui, s’était élancé presque au niveau de l’impériale.

— C’est pour si peu que tu m’as dérangé, Lanisette ?

— Dame ! l’enfant ne m’a pas semblé assez forte…

— Elle le deviendra, dit M. Leveneur en faisant faire avec la main gauche deux tours en l’air au sac de trois mille francs, et en saisissant avec la droite la main du conducteur comme pour l’attirer sur son épaule et le descendre avec lui.

— Inutile ! criait en se débattant le conducteur Lanisette ; on sait que, malgré vos soixante ans, vous êtes encore solide, père Leveneur.

— Soixante ans ! cinquante-huit, s’il vous plaît.

— Vous pourriez tout aussi bien dire trente, avec votre vigueur.

— Ce sera pour une autre fois, dit M. Leveneur en lâchant Lanisette. Va donc lui chercher un verre de vin pour