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Des gens comme ceux qui habitent de tels bijoux ne doivent pas, vous le supposez aisément, souffrir des locataires sous le même toit. Chaque habitant vit seul ; chaque monture n’a qu’un diamant. Toute maison a deux portes : une très-imposante par où l’on n’entre jamais, l’autre petite par où l’on passe, puisqu’il faut passer, quelque original qu’on soit. La grande porte a pourtant trois destinations solennelles : on l’ouvre pour le jour du baptême, du mariage et de l’enterrement. Ces deux portes symboliques se retrouvent, du reste, dans presque toute la Hollande, et j’en aime assez l’usage. L’homme a besoin d’être rappelé à la gravité et à la tristesse. Il est vrai que les Hollandais sont déjà si graves !

Il paraît que ma réception souffrait quelque difficulté, puisque mon guide tardait tant à venir me chercher. Je ne fus pas fâché de ce retard. À chaque instant je découvrais une nouvelle surprise. La plus charmante de toutes fut celle-ci : à un moment donné toutes les croisées inférieures s’ouvrirent, et je pus voir alors, sous des draperies bleues et de mousseline, toutes les jeunes et belles filles immortalisées par le pinceau de Rubens, roses, blanches et calmes créatures, travaillant à des broderies ou dessinant sur des cartons placés devant elles. Des oiseaux voltigeaient sur leur tête, et près d’elles des aras aux plumes qui traînaient comme des dalmatiques, pages dont les habits étaient des ailes, les éveillaient de loin en loin par leurs cris sauvages et familiers. Un prince aurait pu, choisir une femme, un poëte une muse, un peintre un modèle, parmi toutes ces filles reines par la beauté, surtout par la richesse. Là sont véritablement ces opulentes héritières dont parlent si souvent les romanciers et les faiseurs d’opéras-comiques. Mais, filles, petites-filles, arrière-petites-filles de banquiers, elles épouseront des banquiers. Voilà trois ou quatre siècles