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— Comment, le calcul ?

— Tout le monde calcule à Broek : maîtres, valets, enfants. On examine à froid les moyens par lesquels on s’est enrichi, ou l’on peut s’enrichir.

— Mais la musique ?

— Pas de musique à Broek.

— Mais la danse ?

— On n’y danse jamais.

— Mais la société ?

— Les habitants ne se voient jamais entre eux. J’oserais même dire qu’ils ne s’aiment pas beaucoup.

— Mais qui aiment-ils ?

— Ce qu’on doit aimer : l’argent, les plantes, les chats angoras et les oiseaux.

Et, en effet, derrière chaque croisée treillagée de baguettes d’or, j’apercevais un chat angora, blanc, gris ou noir, mais aussi ennuyé que je supposais son maître. Ces chats avaient l’embonpoint dès moutons. C’étaient des chats millionnaires, tous attaqués du foie. Ils étaient réfléchis ; ils avaient l’air de méditer sur le cours de la rente. Je leur donnai des nouvelles de la santé de M. Rothschild, et je passai.

Au bout d’une demi-heure de marche, je pus me rendre compte de l’ensemble, architectural du village de Broek. Chaque maison, est ornée d’une rampe en fer doré qui court parallèlement à la rue, et le passage que laisse cette rampe entre elle et les maisons est une mosaïque formée de pierres d’un choix admirable. La lave, le basalte vert, le granit rose, le marbre paonazzo, offrent, dans leur rapprochement ingénieux, des soleils, des étoiles, des fleurs et des arabesques à l’infini. Malheur à celui qui oserait cracher sur ces mosaïques ! La profanation, du reste, est sans exemple. Quand on est fatigué de fouler ce pavé opulent,