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— Alors vous n’y connaissez personne.

— Personne.

— En ce cas, je vous engage à ne pas aller plus loin, car vous ne serez reçu nulle part ; vous vous en irez sans avoir vu l’intérieur des maisons de Broek.

— J’aurais dû me munir de quelques lettres de recommandation.

— Oh ! monsieur, ici les lettres de recommandation ne servent de rien. En auriez-vous du Grand-Mogol et du grand Lama, pas une porte ne vous serait ouverte. Vous savez que l’empereur Joseph II partit de Broek sans avoir pu pénétrer dans une seule habitation.

— L’empereur n’avait, donc pas de lettres de recommandation ? ou plutôt il en avait… Je ne sais plus ce que je dis, dans la surprise où me jette, cet étrange pays. Que faut-il donc être pour aborder les terribles habitants de Broek ?

— Ils ne sont pas terribles, monsieur ; ils sont doux comme leur gazon, mais ils ont tous fait leur fortune par le commerce, la banque, l’escompte, et ils ne comprennent que l’argent, les millions, les dollars, les florins ; ils n’aiment à voir que leurs semblables, des banquiers, et encore faut-il qu’ils soient riches, immensément, prodigieusement riches.

— Mais alors je suis chez moi ici.

— Comment cela, monsieur ?

— Je suis assez riche, trois millions de revenu.

— Pourquoi ne me l’avoir pas dit tout de suite ? Mais êtes-vous banquier ?

— Fils, petit-fils, neveu de banquier.

Mon guide s’extasiait, Je n’étais plus un étranger pour la ville, pour lui ; je n’étais plus un paria pour cette Asie.

— Je suis, ajoutai-je pour donner plus de crédit à ma