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trémité taillée en tulipe, ou bien jaunes et comme chargés de myriades de papillons. Leurs fleurs se balançaient vers le centre à la manière des oiseaux indolents des tropiques. J’en voyais qui ne portaient que des boutons blancs et n’avaient pas une feuille, une seule feuille. Plus loin se massaient des montagnes de roses, de véritables montagnes de soixante pieds, et derrière ces montagnes s’élevaient des nuages de lierre et de chèvrefeuille. Les parfums de ce paradis nous enveloppaient à la distance où nous étions arrêtés, muets d’admiration. Çà et là des reflets d’or passaient comme des éclairs entre toutes ces choses magnifiques de splendeur et de silence. Le soleil ne savait comment ajouter quelque valeur à tant d’éclat et d’harmonie. Joignez à ce tableau, dont aucun peintre n’a tenté d’imiter l’originalité, la richesse et la suavité, sa réflexion dans l’eau moirée du lac. Quelle admirable contre-épreuve ! On eût dit la Chine venant visiter mystérieusement l’Europe et sortant peu à peu de son vaisseau liquide pour émerveiller un instant deux pauvres voyageurs consternés de surprise.

— Je commence à comprendre pourquoi ; me dit Beziers quand il put parler, on s’étonnait de me voir avec vous ; nous sommes venus dans le paradis de la Hollande, et, comme je suis Provençal…

— Tais-toi donc, imbécile.

— Ma parole d’honneur ! s’écria Beziers, nous sommes ici dans le paradis de la Hollande. Voyez s’il y a un seul être vivant.

— Tu es fou. Si c’était le paradis, il y aurait quelqu’un.

— Croyez-vous, monsieur ?

— Avançons, dis-je à Beziers, et assurons-nous si cet endroit, si ce jardin de fées, est habité.

Nous tendîmes alors à nous rapprocher de la ville asiatique en suivant l’arc de cercle qu’elle décrit d’une façon