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— On n’a rien à vous refuser, dit Mauduit.

— Il me faut du repos ; je ne veux pas vous faire peur.

— Tu es toujours bien comme tu es.

— Ah ! non… commandant !… non !… rien maintenant avant la cérémonie.

Suzon lança au commandant un de ces regards qui allument comme un paquet de fagots le cœur, des vieux garçons.

Elle alla enfin se coucher ; Mauduit resta seul.

Ses réflexions pendant une heure furent nombreuses ; elles furent graves ; mais il ne fallait plus penser à reculer. Du reste, le commandant n’en avait pas l’intention. Derrière lui un passé mort, devant lui un avenir vide ; le présent était sévère, mais du moins était-il possible. Il arrangerait sa fortune : ses neveux ne perdraient pas tout ; et, quant au scandale d’un pareil mariage, il le conjurerait en grande partie par un moyen souvent employé avec succès : le silence. On le supposerait peut-être ; personne n’en aurait une preuve certaine. Et d’ailleurs qui n’a pas sa plaie secrète sous le manteau ? Après tout, dit le commandant en buvant de suite plusieurs verres de kirsch, je casserai, la tête à celui qui le trouverait mauvais. Telle fut la péroraison du long monologue débité par le commandant avant de prendre un flambeau pour aller goûter quelques heures d’un sommeil assez bien, gagné, Dieu merci.

Au moment de sortir du salon, il fut distrait tout à coup par un grand bruit de clefs qu’on tournait dans les serrures aux divers, étages du château. On fermait plusieurs portes à double tour, et l’on retirait les clefs. Le commandant ne tarda pas à se rendre compte de ce mouvement général des serrures. Il se rappela que, lorsque Suzon voulait communiquer un ordre du jour, à la domesticité du château, elle employait ce moyen, celui d’enfermer chaque domestique