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depuis tant d’années, comme il s’était habitué à l’élasticité de son fauteuil nankin, à sa chancelière, à son tire-bottes, venait tout à coup à lui manquer. Qui la remplacerait ? Elle seule avait le secret de ses goûts, de ses manies ; elle seule menait, dirigeait, gouvernait sa maison, qu’il lui faudrait quitter si elle la quittait. Et où aller ? Encore à Paris ? Un affreux serrement de cœur l’étreignit à cette idée ? mille autres douleurs qu’il n’eut pas le temps de déduire, mais qu’il sentait, le rendirent soudainement sombre et véritablement triste à pleurer.

— N’es-tu pas bien ici ? demanda-t-il avec intérêt à Suzon.

— Je ne dis pas, monsieur, que je croie…

— Désires-tu de l’augmentation dans tes gages ?

— Ah ! monsieur…

— Quel motif alors ?

— Je vous l’ai dit, le motif : ma mère est vieille, elle est malade, elle m’appelle à Melun.

Le commandant réfléchit.

— Si tu la faisais venir ici ?

— Ma mère ! au château ?

— Pourquoi pas ? où est l’impossibilité ?

— Vous n’y pensez pas, monsieur. Vous vous rappelez cette longue lettre qu’elle me fit écrire, il y a deux ans, par le curé de Saint-Aspaïs, et où elle me reprochait ma conduite ?

Suzon baissa ensuite les yeux.

Sara pinça jusqu’au sang Paillette, qui fut obligée de courir dans l’escalier pour rire à son aise ; elle étouffait.

— Ta conduite ! ta conduite ! reprit le commandant.

— Dame ! monsieur, ma mère, après tout, avait raison.

— Qu’en sait-elle ?

— Et ma conscience ?…