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che ! Bast ! est-ce que tu nous feras croire que tu te conduis ici en ermite avec cette table servie comme celle d’un Richelieu, avec ces vins qui vous rôtissent le cœur, avec ces liqueurs…

Mistral ne put s’empêcher de rire ; mais sa licence, heureusement pour lui, ne fut pas remarquée du commandant.

— Quelle est donc cette jeune fille, cette tendre beauté, monsieur l’ogre ?

— En vérité…

— Ta vérité !… La voici, ta vérité, reprit Sara : ces rubans roses, cette ceinture assez turlurette, ce bonnet, est-ce toi qui les portes ?

Le commandant Mauduit, confondu, baissa la tête.

— Admirez son aimable pudeur, continua Sara. Nous tenons enfin ton secret ; il est joli ! mais nous n’en dirons rien, vous n’en direz rien, ils n’en diront rien… Maintenant que nous t’avons dit ton secret, Voici le nôtre : nous resterons ici huit jours plus ou moins ; ça te va-t-il ?

Le coup de sabre qu’avait reçu autrefois le commandant lui avait causé une sensation moins forte que ce projet de Sara de demeurer huit jours au château.

— Et pendant ces huit jours nous saurons à quoi nous en tenir sur la demoiselle aux jolis rubans roses.

— Restez… mais restez, je vous en prie, dit le commandant avec mille grimaces ; vous ne sauriez rien imaginer de plus agréable pour moi.

— Commandant, dit Sara, nous n’attendions pas moins de ta courtoisie, mais l’airain a sonné deux fois depuis minuit ; allons nous reposer dans les bras de Morphée.

— Vos chambres sont prêtes, répondit le commandant avec autant de grâce qu’il eut la force d’en apporter à sa politesse.

— Quant à moi, je veux la tienne, commandant.