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au sujet de sa mort qui m’afflige d’autant moins que je ne suis pas son héritier, je vous, adresserai cette question, à laquelle je vous prie de répondre.

— Quelle est cette question ?

— Vous savez qu’à la cour, quand il meurt quelqu’un, l’étiquette veut qu’on distingue soigneusement les actions qui sont de deuil de celles qui ne le sont pas. Je vous demande si le madère est de deuil.

— Le madère est de deuil, répondit gravement Sara.

— Alors j’en bois. Et le bourgogne vieux est-il aussi de deuil ?

— Il est parfaitement de deuil.

— Merci.

Et Prosper jeta dans le plomb qu’il appelait son estomac plusieurs verres de madère et d’autres vins.

— Commandant, dit ensuite, Sara, ton dîner est fort bon, et l’on dirait, ma parole, que c’est encore ta fameuse cuisinière du faubourg du Roule qui l’a fait. Voilà un cordon bleu !

— Qu’est-elle devenue ? demanda de Morieux.

— Je n’en sais trop rien ; balbutia le commandant.

— Comment ! tu n’as pas plus de reconnaissance ?

— Sans doute, elle est encore en place..

— Et tu ne l’as pas gardée !…

— Non… Quittant Paris…

— Ingrat !

— Je ne dis pas… mais… venant habiter la campagne…

— Comment s’appelait-elle déjà ?…

— Suzon…

— C’est cela ! Suzon nous a-t-elle fait manger de bons dîners, grand Dieu, ! Mais était-elle maussade, grognon !

— Un monstre de caractère ! ajouta de Morieux.

— Oh ! oui, un véritable monstre ! répéta Sara.