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nombre pouvait cacher un espion où un traître, creusèrent à coups d’ongles, dans leur cachot, un chemin large de quatre pieds, long de quatre-vingts ! Ce chemin souterrain passait sous la prison, sous les fossés, et allait aboutir à vingt pieds de la sentinelle extérieure. Quand le geôlier entrait, on jetait vite une couverture, et l’on se couchait sur l’orifice de ce puits, creusé en grande partie pendant la nuit.

Le capitaine Grenouille avait résolu une immense difficulté avant d’entreprendre cet admirable travail de creusement, une difficulté où était venue s’émousser et mourir l’énergie de tous ceux qui, avant lui, avaient eu la pensée, d’ailleurs fort commune, de s’évader en tentant le percement d’une voie souterraine. La difficulté était celle-ci : comment se débarrasser de la terre enlevée en faisant un trou si grand : où la mettre, cette terre ?

Deux fois par jour les prisonniers se rendaient dans ce préau si fatal aux trois chiens de l’inspecteur des prisons ; deux fois par jour, avant de s’y rendre, le capitaine Grenouille et ses dix complices versaient la terre dans leurs poches, et, lorsqu’ils étaient assis l’un près de l’autre dans la cour, ils la laissaient couler peu à peu et la tassaient avec leurs mains. Ils allaient ensuite plus loin et ils recommençaient leur distribution, évitant d’être toujours ensemble.

Six mois de peine furent employés à ce travail, bien souvent sur le point d’être découvert. Enfin, une nuit d’hiver, nébuleuse et glacée, les onze prisonniers s’évadèrent de la prison de Plymouth et atteignirent sans péril les bords de la mer où les attendait un pêcheur anglais qui les transporta sur les côtes de France. Après leur évasion seulement, on remarqua que le terrain de la cour où ils venaient chaque jour se promener deux fois s’était exhaussé