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lots qui n’étaient pas morts étaient blessés ; ceux qui n’étaient pas blessés avaient perdu toute présence d’esprit. Une seconde décharge à mitraille fit raison de ces derniers. Le capitaine Grenouille n’eut pas la douleur de se rendre. Une balle de fer qui lui était entrée dans l’œil gauche l’avait étendu sans connaissance sur le pont.

Il ne rouvrit l’œil droit que dans la prison de Plymouth. Il était prisonnier des Anglais.

Son premier mot, en posant d’une manière expressive un doigt de sa main droite sous le seul œil qui lui restât, fût celui-ci, prononcé en bon normand :

— Je pardonne au marin, c’est un brave ! mais l’associé me le payera. Non, je ne lui pardonne point.

Parmi les prisonniers français devenus célèbres par leurs efforts, leur adresse, leur patience dans la recherche des moyens de sortir de leurs cachots, séjour véritablement horrible, le capitaine Grenouille réclame une place méritée. Nous ne citerons que deux faits relatifs à sa captivité à Plymouth. L’un et l’autre, par leur bizarre hardiesse, attestent à quel degré de cruauté s’élevait le traitement réservé aux malheureux prisonniers de guerre.

Chaque semaine, un fonctionnaire spécial venait visiter la prison, afin devoir si les Français étaient aussi inhumainement traités que de coutume, si les lits étaient aussi durs, le pain aussi noir, les légumes aussi mauvais. Après avoir constaté l’infection de l’air et le nombre des malades et des morts, il dressait son rapport et partait. Ce commissaire, membre sans doute de quelque société philanthropique, se faisait toujours suivre, par luxe ou par humanité, de deux superbes lévriers d’Écosse, et de l’un de ces boule-dogues à tête ronde passée dans un collier hérissé de pointes, de fer. Rien de ce qui venait du dehors n’échappait au regard si peu distrait des prisonniers. Avec quelle envie ils