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faisait bâtir, boiser des terrains, exploiter des carrières. Un vieux château d’émigré, situé dans les environs, lui plaisait beaucoup, mais la commune en tenait le prix bien haut. C’étaient cent mille francs à trouver. Je les trouverai dans la poche des Anglais, se dit-il ; encore trois ou quatre bonnes courses dans le détroit, et le château m’appartiendra.

Les calculs du corsaire, on va le voir, ne se vérifièrent pas entièrement. Il partit de nouveau. Il avait déjà battu en tous sens quarante ou cinquante lieues de côte sans rien rencontrer qui valût la peine d’être pris, d’indignes vaisseaux chargés de foin ou de planches, lorsqu’il aperçut aux dernières lignes de l’horizon un navire d’honnêtes dimensions et taillé dans des proportions tout à fait inoffensives. Quelle est cette diligence ? pensa-t-il. Rendrons-nous une visite de simple politesse à ce roulier ? Allons ! honorons-le d’un abordage.

— Le cap sur cette maison bourgeoise ! ordonna-t-il. — Nous serions pourtant bien attrapés si c’était un vaisseau de la compagnie des Indes, bourré de thé, — le thé, ne plaisantons pas, se vend cent francs la livre en France. — Mais je ne vois sur le pont qu’un chien et un matelot en bonnet de coton, s’écria le capitaine Grenouille, quand il fut à un simple jet de pierre du bâtiment.

— Ohé ! cria Grenouille dans le fond de sa trompette marine ; ohé ! de vous deux, s’il vous plaît, quel est le capitaine ?

— C’est moi qui suis le capitaine, lui cria l’homme au bonnet de coton, moi, le capitaine Gueux.

Et huit pièces de canon et cent mousquets tirèrent à la fois sur le corsaire, dont le pont fut à l’instant même couvert de sang et d’éclats de bois. Attaqué de si près, à bout portant, toute résistance était impossible. Ceux des mate-