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noms des dix bâtiments français compris dans ce traité conclu de bonne foi par-devant le ciel et l’eau, en présence de l’horizon.

— Touchez là, capitaine Grenouille.

La main du capitaine Grenouille tomba dans celle du capitaine Gueux.

— Mais quant aux autres navires en dehors du traité ?…

— Tâchez de les pincer, capitaine Grenouille, c’est votre affaire.

— Je n’y manquerai pas.

— Sur tout ceci, capitaine Grenouille, le plus grand secret.

— Si je ne le gardais pas, je serais fusillé.

— Et moi pendu, ajouta le capitaine Gueux. Cela suffit à deux hommes d’honneur.

Les deux embarcations s’éloignèrent, et les deux corsaires firent voile dans des directions opposées. Telle fut la première entrevue des deux chefs qui les commandaient.

De part et d’autre, les conventions furent fidèlement observées pendant six mois : le capitaine Gueux relâcha quatre navires français dont il aurait pu s’emparer, et de son côté, le capitaine Grenouille ne fit aucun mal à dix navires anglais qu’en d’autres circonstances il eût traités avec infiniment moins d’égards. Il était en avance de six vaisseaux sur le capitaine Gueux, mais c’était là un effet du hasard.

Sans violer la lettre du traité tout commercial passé avec le capitaine Gueux, le capitaine Grenouille avait le droit de continuer, et il n’avait garde d’y manquer, ses courses heureuses contre les navires anglais non compris dans le cercle de la convention. Lui et son équipage regorgeaient d’or ; mais, tandis que l’équipage jetait à poignée les pièces de vingt francs sur la table et souvent sous la table des cabarets, le capitaine ajoutait des biens-fonds à sa terre. Il