Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’était pas écrit que cette belle prospérité suivrait un cours régulier jusqu’à la fin. Nous n’étions pas la seule nation qui armât des corsaires. Les Anglais en lançaient beaucoup sur nos côtes. Parmi les corsaires anglais qui donnaient le plus de mauvaises nuits à nos négociants bretons, on en distinguait un dont le nom a mérité de rester lié dans les souvenirs contemporains à celui du capitaine Grenouille. Malheureusement ce nom n’est qu’un sobriquet comme celui de notre capitaine, dont le nom réel nous a été du moins révélé. Le sobriquet du corsaire anglais correspondait parfaitement au nom de la goélette qu’il commandait. C’était la goëlette la Faim (Hunger), capitaine Gueux.

Il est établi que tout Anglais est marin, paradoxe auquel la Grande-Bretagne et l’Amérique doivent l’avantage d’être les deux nations qui comptent annuellement le plus de vaisseaux naufragés. Aussi, l’équipage d’un corsaire anglais se composait de contrebandiers, de voleurs, de joueurs ruinés, de banqueroutiers, mêlés de quelques véritables marins. Le capitaine Gueux lui-même avait été avocat ; mais il est juste de dire qu’il avait quitté d’assez bonne heure cette profession pour qu’elle ne nuisît pas plus tard à sa condition de corsaire. Au contraire, le capitaine Gueux apportait souvent, grâce à ses études du droit, une très-remarquable sagacité dans certaines difficultés du métier, ainsi qu’on va le voir bientôt.

On imagine sans peine avec quelle soif de capture ces hommes, rejetés par tous les rangs de la société anglaise, fouillaient les replis de la mer, afin d’y découvrir de l’or ou de quoi en faire. Ils fondaient sur tout ce qu’ils voyaient flotter à sa surface, semblables aux requins qui mangent, qui avalent tout, le bois, les pierres, le fer. Ils gâtaient malheureusement les vices qu’ils avaient en commun avec