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Quant au commandant Mauduit, il était d’une constitution trop nerveuse pour n’avoir pas repoussé avec plus de succès que son ami l’assaut de ces quarante mille hommes qu’on appelle quarante ans. Il les portait sans doute, mais en Hercule. Ses cheveux gris ne donnaient que plus de valeur aux noirs ; ses yeux s’étaient enfoncés, mais ils flamboyaient toujours. Son nez, un peu large à la base, ne déparait pas son visage mâle, très-inégalement barbu : il avait conservé les grosses moustaches, la barbe et la moitié de ses formidables favoris de garde du corps. Cette barbe, qui plaisait tant autrefois aux femmes délicates que réunissait le spirituel docteur Alibert dans son coquet entresol des Tuileries, avait à présent des reflets nombreux, rouges, dorés et blancs, qui ne déplaisaient pas ; c’était une forêt d’automne. Et ces deux ou trois dents brisées, qui le défiguraient à vingt-cinq ans, lui seyaient à quarante-six ans, autant que ce valeureux coup de sabre qui lui descendait du front jusqu’aux lèvres, en touchant au nez. Son bégayement, très-léger du reste, et causé en partie par la lacune de ses dents et la fente martiale de ses lèvres, donnait une pointe d’originalité à sa conversation. Beaucoup plus grand que de Morieux, car il avait près de cinq pieds huit pouces, il portait la poitrine arrondie et en avant comme un major prussien. Il avait gardé du service militaire et tout royal d’officier des gardes du corps des mouvements brusques, mais nobles. Il tenait bien ses bras, regardait avec fierté, et pourtant sans la moindre impertinence, autour de lui. C’était l’homme fort, l’homme prêt à tout, excepté au mal. On sentait que sous Louis XIV, Henri IV, François Ier, et peut-être Philippe-Auguste, il y avait eu des Mauduit de la Vallonnière taillés ainsi, forts de cette force, beaux de cette beauté un peu inquiétante pour une société bourgeoise comme la nôtre, mais néces-