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traita sans peine avec le propriétaire, pauvre armateur ruiné par la guerre ; il eut la goëlette pour moins de quinze mille francs. Pendant qu’il s’occupait d’avoir une lettre de marque, c’est-à-dire le titre légal pour être corsaire et non pirate, il fit raser la goëlette, déjà fort peu élevée au-dessus de l’eau, descendre le pont d’un demi pied, et changer le système de mâture. La goëlette, en perdant un mât et son niveau, devint un cutter, un vaisseau d’une coupe prodigieusement élancée, et bien nommé de l’anglais cutter, qui veut dire coupeur. Avec ces sortes de bâtiments, on coupe l’eau, c’est assez exprimer leur foudroyante vitesse.

Une si belle pièce d’architecture navale méritait à tous les titres le surnom dont la baptisèrent les marins prudents : ils l’appelèrent, avec une ironie significative, la Grenouille ! Ils comptaient que la Grenouille ne tarderait pas à descendre au fond de l’eau.

— Soit ! je l’appellerai aussi la Grenouille, s’écria Jérôme Harbour.

Et il fit écrire à l’arrière du cutter, en grosses lettres blanches sur un fond noir : la Grenouille ; au beaupré une grenouille fut sculptée et peinte en beau vert ; lui-même, Jérôme Harbour, permit qu’on ne le nommât plus que le capitaine Grenouille. Sa lettre de marque, était arrivée ; il s’occupa de recruter son équipage.

Jérôme : Harbour, au courant des bons endroits, alla de taverne en taverne, remuant des pièces de six livres au fond de son chapeau goudronné.

— Qui veut venir avec moi en pèlerinage ? disait-il. La Grenouille appareille ce soir. Ou bien : — Qui veut se marier avec la Grenouille ? C’est une demoiselle fort gentille qui n’a rien, mais qui possède de jolis talents. Ou bien encore, entassant calembours sur calembours : — Le capitaine Grenouille offre de la grenouille à qui montera sur