Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un homme simple, inspiré de l’amour de l’humanité, un pauvre pharmacien, venait de rendre la famine à tout jamais impossible sur la terre ; il avait vaincu la Famine comme Jésus-Christ a tué la Mort.

Réduits au silence, comme ils l’ont si souvent été, notamment par Galilée, par Colomb, par Jenner, les savants roulèrent leurs rapports, et le peuple planta, cultiva et mangea, sans crainte de s’empoisonner, des parmentières, premier nom donné au végétal de Parmentier. À propos de ce nom, il est décourageant d’écrire que le temps l’a effacé pour le remplacer par celui si inexact et si ingrat de pomme de terre. Tel est le sort réservé à presque toutes les qualifications généreuses. Colomb n’a pas pu attacher son nom à l’Amérique, Jenner à la vaccine, Montgolfier aux aérostats ; et cependant, l’on dit et l’on dira avec une inaltérable persistance une fusée à la Congrève, les mortiers Paixhans. Si Congrève avait fait une découverte utile, il y a longtemps que son nom ne serait plus porté par elle ; c’est là un des mille caprices de la postérité, qui a aussi son côté railleur. La postérité est une vieille femme de lettres ; si elle laisse aux fusées incendiaires le nom de Congrève, elle condamne une antique famille, illustre par l’intelligence et par le courage, col senno e con la mano, à ne léguer son nom qu’à des côtelettes ; qui ne connaît les côtelettes à la Soubise ? Les noms ont une destinée ; il vaudrait mieux qu’ils eussent une logique. Versez de race en race votre sang ; pourquoi ? pour arriver à immortaliser des côtelettes.

Le roi avait fait son devoir ; savez-vous de quelle manière le gouvernement remplit le sien envers l’illustre agronome ? Il projeta de mettre un impôt sur les parmentières, comme il en avait mis un sur le sel. Au fond, les deux impôts étaient frères ; il ne fallait pas créer de jalou-