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Ce fut le roi lui-même qui le releva avec bonté.

— Voyez, monsieur, voyez, lui dit Louis XVI en lui montrant, passées à la boutonnière de son habit de roi, des feuilles de la pomme de terre, ce sera aujourd’hui ma plus belle, ma seule décoration.

— Madame, dit ensuite le roi en montrant à la reine l’horticulteur ému, je vous présente M. Parmentier.

Le bon roi le conduisit encore devant les ambassadeurs et les princes de sa cour, s’arrêtant à chaque pas pour dire : M. Parmentier, un des hommes les plus utiles de mon royaume, messieurs ! Le soir, il parut dans la loge du roi au spectacle ; le lendemain, honneur rare et dont les plus illustres tenaient compte, il alla à Versailles dans un des carrosses de la cour. La pomme de terre était anoblie. C’était déjà de l’honneur et de la gloire ; il fallait encore à la découverte de Parmentier la popularité, la sainte sanction de la foule.

Parmentier, qu’un geste du roi avait fait sortir de l’obscurité, invita, à quelque temps de là, à un grand dîner qu’il donna aux Invalides, dont il était devenu pharmacien en chef, les notabilités de l’époque : des philosophes, des moralistes, des littérateurs, des peintres, des savants. Ce repas offrit ce merveilleux phénomène, que la pomme de terre seule en fit les frais ; le potage, l’accessoire des entrées, les entremets, le dessert, les vins mousseux, les glaces, le café et les liqueurs, tout avait été extrait du suc de la pomme de terre. Avant de toucher à ce dîner, un des plus admirables efforts de la science, les convives se levèrent tous avec respect pour écouter la bénédiction que, tête nue, les mains étendues, les yeux au ciel, prononça l’illustre et pieux Franklin. Au nom des deux mondes, il recueillit la reconnaissance des hommes, et la fit monter au ciel, pour le remercier d’un si grand bienfait. Parmentier,