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beaucoup mieux que lui, plus joli et plus élégamment tourné aux yeux des femmes, aujourd’hui, à quarante-six ans, il paraissait infiniment plus fatigué. Son étoffe, s’il est permis de risquer cette image, était plus, passée de mode parce qu’elle avait-été trop à la mode. Le riche banquier, ce beau de la Restauration, avait maintenant les yeux, qu’il avait auparavant d’un bleu fier, clairs comme des perles trop longtemps exposées aux feux des soirées ; perles encore, mais considérablement diminuées de valeur. Ses cheveux grisonnaient beaucoup autour de son front, pur cependant de toute forte ride ; son nez, qu’on trouvait autrefois charmant de finesse et de pente, busquait avec trop de saillie, et ses dents, belles encore, bleuissaient légèrement sous leur superbe émail un peu entamé par la lime du dentiste. Sa figure avait grossi, et, comme, la majesté ne pouvait entrer dans les lignes étroites de son contour, elle devenait d’année en année plus ample que noble. De Morieux n’avait pas engraissé de façon à disparaître, à s’envaser dans un fâcheux embonpoint ; il était pourtant loin de ressembler au délicieux : cavalier de 1834, et surtout de 1828. D’une taille moyenne, il ne s’était ni aplati, ni voûté : il avait subi des altérations, pas de dégradations. Sans la négligence des dernières années, il aurait lutté avec des chances avantageuses contre l’âge ; mais il avait mis tellement en oubli les soins si impérieux du costume, lui si élégant jadis, que Humann, son tailleur, et le roi dans l’art d’habiller, Humann, qui ne dédaignait pas de le consulter sur les modes, sur les coupes d’un habit ou le dessin nouveau d’une redingote, aurait rougi et l’aurait maintenant renié. Ruine, mais ruine d’un palais, de Morieux attestait encore l’homme de goût par la finesse de ses pieds, la délicatesse de ses mains charmantes, et surtout par un ton exquis dans les manières.